Un arrêt intéressant de la Cour de Justice de l’Union Européenne, rendu le 3 octobre 2013, accorde compétence aux juridictions françaises pour connaître d’une action en responsabilité en cas d’atteinte transnationale aux droits d’auteur (CJUE, 3 octobre 2013, aff. C-170/12, Peter Pinckney c/ KDG Mediatech AG).
L’affaire présentait un caractère transnational et européen:
– l’auteur est de nationalité française;
– ses chansons sont reproduites sur CD en Autriche;
– les CD sont vendus en ligne par une société britannique;
– au travers d’un site Internet accessible en France.
Dans un premier temps, le Tribunal de grande instance de Toulouse s’est déclaré compétent, compte tenu des points de rattachement avec la France. L’ordonnance considérait en effet que :
Le seul fait que M. Pinckney ait pu acheter les disques en cause depuis son domicile français, sur un site Internet ouvert au public français, suffisait à établir un lien substantiel entre les faits et le dommage allégué, justifiant la compétence du juge saisi” (arrêt, §11).
La Cour d’appel avait statué dans un sens différent dans son arrêt du 21 janvier 2009, au motif que le lieu du défendeur était situé en Autriche et que le lieu de réalisation du dommage se trouvait au Royaume-Uni. La Cour d’appel de Toulouse considérait donc que les juridictions françaises ne pouvaient pas être saisies du litige.
Dans le cadre d’un recours préjudiciel formé par la Cour de Cassation, la CJUE va confirmer la compétence des juridictions de Toulouse. Elle décide qu’en matière d’atteinte aux droits d’auteur, peuvent être compétentes les juridictions d’un Etat membre de l’Union européenne :
– dans lequel sont protégés les droits patrimoniaux de l’auteur;
– dans le ressort duquel le dommage risque de se matérialiser.
Toutefois, la juridiction ainsi saisie ne pourra se prononcer que pour le seul dommage causé sur le territoire dont elle relève.
La CJUE donne ainsi une interprétation intéressante de l’article 5.3 du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit “Bruxelles I”:
L’article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution de décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que, en cas d’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur garantis par l’État membre de la juridiction saisie, celle-ci est compétente pour connaître d’une action en responsabilité introduite par l’auteur d’une œuvre à l’encontre d’une société établie dans un autre État membre et ayant, dans celui-ci, reproduit ladite œuvre sur un support matériel qui est ensuite vendu par des sociétés établies dans un troisième État membre, par l’intermédiaire d’un site Internet accessible également dans le ressort de la juridiction saisie. Cette juridiction n’est compétente que pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre dont elle relève.
A première analyse, la décision reste intra-européenne: elle n’est applicable que lorsque tous les points de rattachement (nationalité de l’auteur, protection des oeuvres, lieu de commission de l’atteinte, et lieu du risque du préjudice) sont tous situés sur le territoire de l’Union européenne. Rien n’indique que la solution serait la même si l’un des facteurs du litige était situé en-dehors du territoire de l’Union européenne.
Nous noterons la différence faite par la Cour entre la compétence des juridictions en matière de droits de la personnalité (§36) et celle en matière de droits de la propriété intellectuelle (§37):
36. Ainsi, la prétendue victime d’une atteinte aux droits de la personnalité commise au moyen d’un contenu mis en ligne, protégés dans tous les États membres, peut, au titre de la matérialisation du dommage, introduire une action en responsabilité devant les juridictions de chaque État membre sur le territoire duquel ledit contenu est accessible ou l’a été. Celles-ci sont compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’État membre de la juridiction saisie (voir arrêt eDate Advertising et Martinez, précité, point 52). En outre, étant donné que l’impact d’une atteinte commise au moyen d’un contenu mis en ligne sur les droits de la personnalité d’une personne peut être le mieux apprécié par la juridiction du lieu où cette personne a le centre de ses intérêts, la prétendue victime peut choisir de saisir, pour l’intégralité du dommage causé, la seule juridiction de ce lieu (arrêt eDate Advertising et Martinez, précité, point 48)
37. En revanche, l’allégation d’une atteinte à un droit de la propriété intellectuelle et industrielle, dont la protection accordée par un acte d’enregistrement est limitée au territoire de l’État membre d’enregistrement, doit être portée devant les juridictions de celui-ci. En effet, ce sont les juridictions de l’État membre d’enregistrement qui sont les mieux à même d’évaluer s’il est effectivement porté atteinte au droit en cause (voir en ce sens, à propos des marques nationales, arrêt Wintersteiger, précité, points 25 et 28).
Source: Legalis.net.