La couleur est une composante d’une marque. Tout le monde en conviendra. Mais une nuance de couleur peut-elle constituer une marque en tant que telle ? Une nuance de couleur peut-elle remplir la fonction d’origine de produits ou de services ?
A quelles conditions une couleur peut-elle devenir une marque ?
Les acteurs du marketing et de la communication utilisent de plus en plus fréquemment des codes couleurs spécifiques pour désigner des gammes de produits ou de services.
En effet, la couleur est probablement le premier signifiant perçu: avant même le signifié, elle influence nos sens, notre psyché, notre état, et notre perception du message.
Dans un article publié en 2002, Gérard Caron soutient que la couleur comprend quatre significations, acquises au fil du temps: le sens de mode, le sens sociétal, le sens culturel, le sens archétypal.
Ainsi, le rouge porte des valeurs dynamiques, puissantes, sanguines. Le bleu des notions de calme, de stabilité, de fluidité. Le vert fait référence à la nature, à la renaissance, à la vitalité. La couleur porte des valeurs et influence l’observateur.
Mais la couleur n’est plus une simple caractéristique distinctive. Elle est devenue, dans certains cas, une identité en tant que telle. Une nuance de couleur permet ainsi de fédérer immédiatement une clientèle.
En France, plusieurs couleurs sont immédiatement perçue comme désignant une origine précise de produits et services:
– la couleur orange de la société éponyme, pour des services de télécommunications et d’accès à l’Internet;
– la couleur rouge d’une célèbre écurie de formule 1 pour des véhicules automobiles.
Sans réécrire la querelle des universaux, à l’évocation du mot « ROUGE », le rouge auquel je pense n’est probablement pas de la même nuance que celui auquel vous pensez. Mais il existe très certainement un orange « HERMES » et un orange « FRANCE TELECOM », comme un rouge « FERRARI », un rouge « COCA-COLA » et un rouge « GALERIE LAFAYETTE », chacun bien distinct de ses frères jumeaux.
La couleur fait sens. La nuance de couleur distingue.
D’un point de vue juridique, la reconnaissance d’une couleur à titre de marque est assez ancienne. Ainsi, dans un arrêt du 8 février 1974, le Conseil d’Etat décidait que « ne pouvaient faire l’objet d’une protection les noms de génériques de couleur, sans indication de teinte, donnés à des produits, non plus que l’usage à titre de marque des mêmes couleurs incorporées à des produits (…) La couleur « rouge Congo » pour désigner des produits pétroliers constitue une marque valable: il s’agit d’une nuance bien déterminée, suffisamment distinctive des objets auxquels elle s’applique et qui ne fait pas obstacle à ce que des concurrents du propriétaire de la marque puisse colorer leurs produits selon d’autres nuances ».
Depuis cette décision fondatrice, une nuance de couleur peut faire l’objet d’un dépôt de marque, et être réservée à un acteur économique pour distinguer ses produits ou services de ceux de ses concurrents. La marque étant protégée pour des produits et services spécifiques, les acteurs économiques ne sont pas « dépossédés » d’un bien relevant du domaine public: la marque « couleur » reste enfermée dans sa spécialité.
En outre, la couleur revendiquée ne doit pas être générique, usuelle, ni descriptive (art. L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle). Ainsi, nous pourrions penser qu’une nuance de vert ne pourrait être appropriée par un distributeur de fleurs ou de plantes: la connotation intrinsèque à la couleur verte exige que toutes ses nuances puissent être exploitées par tous les acteurs économiques du marché botanique (sauf à peindre les roses blanches en rouge, comme dans le roman de Lewis Carroll). En d’autres termes, la nuance de couleur ne doit pas être la propriété d’exploitation exclusive d’un acteur économique si cette couleur est de l’essence de ce type de produits ou services.
Restait à déterminer de manière précise la nuance de couleur, afin de délimiter les droits du déposant de marque. En effet, si une couleur était susceptible de remplir une fonction d’origine de produits et services, encore fallait-il définir précisément l’objet de la protection. Comment une couleur peut-elle satisfaire aux exigences de représentation graphique ? Comment la fixer en tant que « signe » ?
Dans un arrêt du 30 mars 2005, la Cour d’appel de Paris proposait une solution à cette question: « si un échantillon de couleur accompagné d’une description verbale ne remplit pas les conditions posées à l’article 2 de la directive communautaire n°89/104 pour constituer une représentation graphique, notamment par défaut de précision, cette défaillance peut le cas échéant être comblée par l’ajout d’une désignation de la couleur au moyen d’un code d’identification internationalement reconnu ». En d’autres termes: l’usage d’un référentiel suffisamment notoire permet de fixer de manière précise la couleur.
L’arrêté du 2 septembre 2008 modifiant l’arrêté du 31 janvier 1992 relatif aux marques de fabrique, de commerce ou de service prend en compte l’évolution des pratiques et consacre le dépôt d’une couleur « en tant que telle ». Aux termes du nouvel article 2 d) de l’arrêté : « Toutefois, si la marque n’est constituée que de la représentation d’une couleur ou d’une combinaison de couleurs, la description devra comporter obligatoirement un code d’identification internationalement reconnu de cette couleur ». La référence à un « code d’identification internationalement reconnu » ne pallie plus une description imprécise. Elle devient obligatoire.
L’arrêté consacre donc la jurisprudence et la pratique professionnelle en cette matière.
Pour autant, la référence à un « code d’identification internationalement reconnu » assure-t-il suffisamment la permanence et la précision des dépôts de marque composés d’une nuance de couleur ? Nous pouvons raisonnablement en douter. Chaque déposant reste libre d’user du système de référence de son choix, ce qui confrontera les valeurs hexadécimales des nuances informatiques, aux nuanciers Pantone (r), les nuanciers des papiers mats à ceux des papiers couchés, les altérations chromatiques des pigments au fil du temps, ou en fonction de la permanence du support. Une référence quadri chromique est-elle suffisamment précise ? Faut-il préférer une référence hexa chromique ?
En outre, puisque le code Pantone(r) est protégé au titre des droits de propriété intellectuelle, les déposants devront-ils s’acquitter de droits pour chaque dépôt de leurs propres marques ?
Sur ces questions, l’arrêté du 2 septembre n’apporte aucune réponse.