Charge de la preuve de l’épuisement des droits de marque

Dans un arrêt du 7 avril 2009, la Cour de Cassation précise les règles probatoires pour invoquer l’épuisement des droits sur les marques. L’épuisement des droits sur les marques est régi par l’article L. 716 – 1 du code de la propriété intellectuelle, qui dispose:

Le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d’interdire l’usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté économique européenne ou dans l’Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

Toutefois, faculté reste alors ouverte au propriétaire de s’opposer à tout nouvel acte de commercialisation s’il justifie de motifs légitimes, tenant notamment à la modification ou à l’altération, ultérieurement intervenue, de l’état des produits.

En d’autres termes, le titulaire d’une marque ne peut agir en contrefaçon dans un but anticoncurrentiel, pour segmenter le marché de l’Union européenne. En revanche, il peut défendre son image de marque et celle de son réseau contre toute modification altération de la qualité de ses produits.

L’arrêt de la Cour de Cassation précise les charges de preuve pesant sur les distributeurs qui invoquent un épuisement des droits de marque.

La société Epson Seiko est titulaire de la marque Epson et Epson Stylus,  pour distinguer des cartouches d’encre.

Les cartouches d’encre sont commercialisées en France par l’intermédiaire de la société Epson France.

La société SOPAZ acquiert auprès de la société TECHNI Stocks, établie en France, plusieurs cartouches de marque Epson, pour les revendre. Elle est assignée par la société Epson France en contrefaçon de ses marques.

Le 14 décembre 2007, la Cour d’Appel de Paris rejette l’action pour deux raisons. D’une part, la Cour relève que le réseau de distribution EPSON n’est pas exclusif. Le titulaire de la marque n’apporterait  donc pas la preuve que les produits proviennent d’une origine frauduleuse. D’autre part, la société SOPAZ produit différentes factures d’achat régulières de grossistes agréés ou de revendeurs ayant leur siège social dans l’espace économique européen (tels que FTK diffusion, Techni Stocks, SMCI, Interventes, Shop Info, COI et Claudia France). Ayant acquis les produits en France, la société SOPAZ estimait, en conséquence, que la commercialisation des cartouches d’encre Epson était parfaitement licite. La Cour d’Appel suivait ce raisonnement.

La Cour de Cassation annule l’arrêt de la Cour d’Appel aux motifs suivants :

attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que, sauf aménagement de cette règle de preuve en cas de risque de cloisonnement des marchés, il incombe à la partie qui se prévaut de l’épuisement du droit de marque de démontrer cet épuisement pour chacun des exemplaires authentiques du produit concerné par le litige, la cour d’appel, faute d’avoir mis en évidence que chacun d’eux avait fait l’objet d’une première mise sur le marché dans l’Espace économique européen par le titulaire de marque ou avec son consentement, même implicite, ce qui ne pouvait résulter du seul fait que les parties poursuivies en contrefaçon les avaient acquis de revendeurs ayant leurs sièges dans cet espace, et que certains d’entre eux aient été vendus par des grossistes agréés, n’a pas donné de base légale à sa décision.

Cet attendu reprend, de manière très synthétique, plusieurs principes en matière d’épuisement des droits sur la marque.

D’une part, la charge de la preuve repose sur la personne et qui se prévaut d’un épuisement du droit: c’est à elle de démontrer le consentement initial du titulaire de la marque à la commercialisation des produits litigieux (CJCE, 20 novembre 2001, aff. C-414/pp à C-416/99; Davidoff). Puisque l’épuisement des droits est une exception au droit du titulaire de la marque, cette charge de la preuve apparait parfaitement légitime. Le consentement du fabricant n’est donc pas présumé par la simple apposition de sa marque sur les produits litigieux.

Ce consentement doit être démontré pour chacun des exemplaires des produits litigieux (CJCE, 1er juillet 1999, aff. C-173/98, Sebago). La règle peut sembler rigoureuse lorsque que le litige porte sur des produits commercialisés en grandes quantités, dont la traçabilité nécessiteraient des outils de suivi lourds ou coûteux. Néanmoins, les titulaires de marques ne peuvent souffrir qu’un distributeur noient des produits litigieux dans des masses de produits licites. En outre, le développement des outils informatiques et la rigueur des règles comptables ne font pas peser une charge apparemment trop importante.

Enfin, la Cour de Cassation fait sienne la décision « Davidoff » rendue par la cCur de justice des communautés européennes. Ainsi, le consentement du titulaire de la marque peut-être implicite. Toutefois, un distributeur ne peut exciper du seul fait que les produits suspects de contrefaçon aient été acquis auprès de grossistes ou de revendeurs établis dans l’Espace économique européen. Le distributeur a donc en charge de démontrer la licéité de la chaîne d’approvisionnement. Toutefois, la Cour de Cassation ne précise pas quel est le degré de contrôle auquel doit se livrer le distributeur : un distributeur doit-il vérifier chaque maillon de la chaîne ? Son obligation de contrôle se limite-t-il au revendeur immédiat ?

En toute hypothèse, les sociétés commerciales et les commerçants doivent vérifier l’origine illicite des produits qu’ils commercialisent et la légitimité de leur offre commerciale.

Pour la bonne administration de son réseau de distribution (sélectif ou exclusif), un portefeuille de marques constitue un outil stratégique.

Source: Association des Praticiens du Droit des Marques et des Modèles (APRAM)