La loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007 a renforcé les moyens d’investigation des sociétés victimes de contrefaçon et de contrainte à l’encontre des contrefacteurs. Notamment, dans le cadre d’un litige en contrefaçon, le demandeur peut demander la communication de tous documents et informations susceptibles de l’éclairer sur l’origine ou l’étendue de la contrefaçon, ainsi qu’une provision sur l’indemnisation à recevoir.
Le juge du Tribunal de Grande instance de Paris, dans une récente affaire opposant la SA CELINE aux SARL FREE NESS, MAZAL et GROUPE TRIOMPHE CHAUSSURES, a fait application de ces nouvelles dispositions du Code de la propriété intellectuelle… dans toute leur rigueur…
(TGI Paris, 3e chambre, ordonnance du juge de la mise en état, 25 juin 2008, RG 2007/13929).
En l’espèce, la société anonyme CELINE est titulaire de l’enregistrement de marque figurative n°98 746 965 du 21 août 1998, régulièrement renouvelée, et désignant les chaussures.
Informée que la société FREE NESS fournissait à la société MAZAL un tissu reproduisant le motif protégé par sa marque, elle fait procéder à une saisie contrefaçon dans les locaux de celle-ci. Lors de la saisie, l’huissier de justice interroge les personnes présentes au sein de la société FREE NESS, lesquelles dénient avoir la moindre relation avec la société MAZAL.
Dans le but d’identifier le circuit de distribution des produits contrefaisants, la société CELINE demande donc au tribunal de grande instance de Paris d’enjoindre FREE NESS à produire tout document comptable permettant de déterminer l’origine, la destination et le volume de la contrefaçon.
L’article L. 716-7-1 du Code de propriété intellectuelle dispose en effet:
« Si la demande lui en est faite, la juridiction saisie d’une procédure civile prévue au présent titre peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits contrefaisants qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits contrefaisants ou qui fournit des services utilisés dans des activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication, ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.
(…)
Les documents ou informations recherchés portent sur :
a) les noms et adresse des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs, et autres détenteurs antérieurs des produits ou services, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants.
b) les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que le prix obtenu pour les produits ou services en cause. »
La juridiction saisie a donc le pouvoir d’enjoindre le défendeur de produire des pièces issues de sa comptabilité.
La juridiction ne peut pas ordonner ces mesures d’office : le demandeur doit en faire la demande, dans le cadre d’une procédure civile. Le Ministère public ne pourrait pas, a fortiori, se fonder sur cette disposition particulière du Code de propriété intellectuelle pour exiger la production de documents (le Ministère public dispose d’autres pouvoirs).
La demande peut viser la personne directement mise en cause, mais également tout intervenant dans la chaîne de distribution des produits ou services contrefaisants.
Face à de tels contraintes, la résistance est lourdement sanctionnée, comme a pu l’apprendre la société FREE NESS à ses dépens.
Se fondant également sur l’article L. 716-6 du Code de la propriété intellectuelle, qui permet l’allocation de provisions sur dommages-intérêts, le juge de la mise en état:
– alloue à la société Céline une indemnité provisionnelle de 20 000 € à valoir sur la réparation définitive du préjudice;
– condamne la société FREE NESS à 2 000 € au titre de l’article 700 du NCPC, pour le seul incident de procédure;
– ordonne à la société FREE NESS de fournir à la société Céline toutes les commandes, bons de livraison des clients à qui elle a fourni les chaussures contrefaisantes, ainsi que le double des factures émises.
Surtout, le juge de la mise en état demande la certification par expert-comptable du contenu et l’exhaustivité des pièces communiquées, sous le délai préfixe d’un mois à compter de sa décision. A défaut, la société FREE NESS sera condamnée à une astreinte de 1 000 € par jour de retard.
Ainsi, en cas de contrefaçon, la réticence du défendeur à communiquer les documents exigés par son adversaire peut faire l’objet de lourdes sanctions.