Dans un arrêt du 23 septembre 2009, le Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes a écarté tout risque de confusion entre les signes SHE et S-HE, malgré l’identité de certains produits en cause (les articles de mode tels que vêtements, chaussures et chapellerie, lunettes, et parfums) (TPICE, 23 septembre 2009, Arcandor AG et OHMI c/ DM Drogerie Markt, aff. T-391/06).
Selon le tribunal, le tiret permet la mise en exergue de la première lettre et ne laisse pas apparaître indirectement le mot anglais « she ». Les marques contiendraient donc une signification différente, compréhensible par un consommateur d’attention moyenne, normalement avisé et attentif. Cette différence visuelle est d’autant plus déterminante que les deux marques en conflit sont constituées de termes courts.
L’Office pour l’Harmonisation du Marché Intérieur s’était déjà prononcé sur le risque de confusion des marques composées de termes courts, notamment dans la décision opposant la marque DOM à la demande de marque TOM (OHMI, div. Opp., 24 avril 2001, Rudolf Wild Gmbh & Co. KG c/ Bodegas Faustino, SL). Selon l’OHMI, il est communément accepté que les consommateurs sont plus attentifs au début d’une marque ; en conséquence, les dissemblances entre les parties d’un signe court sont susceptibles d’influencer sensiblement la perception du consommateur d’attention moyenne, et donc d’écarter le risque de confusion.
Cependant, en l’espèce, c’est la première fois que le TPICE carte tout risque de confusion entre deux signes très courts alors que :
– certains produits visés sont identiques,
– les signes en présence sont composés de lettres identiques, classés selon le même ordre et le même rang.
Pour aboutir à cette conclusion, le tribunal va procéder en deux temps :
1. Définir le niveau d’attention du consommateur pour les produits en cause ;
2. Apprécier les similitudes visuelles, phonétiques et intellectuels des signes en conflit.
I. Niveau de perception du consommateur de biens de consommation courant
Dans un premier temps, le Tribunal définit le degré de perception des consommateurs au regard des produits désignés par les marques en conflit. Pour l’achat de produits de consommation courante telle que les produits de parfumerie, les huiles essentielles, des produits de cosmétiques, des lotions pour les cheveux, des articles en cuir, des parapluies, des parasols, des vêtements, des chaussures et des chapeaux, le Tribunal relèvera que les consommateurs n’avaient pas un niveau d’attention faible, bien qu’il ne soit pas particulièrement élevé (CJCE, 16 mars 2005, L’Oréal contre OHMI, aff. T – 112/03, L’Oréal SA c/ OHMI et Revlon (FLEXI AIR) ; TPICE, 13 avril 2005, aff. T – 286/03 Gillette c/ OHMI et Wilkinson Sword, (Right Guard Xtreme sport). S’agissant des lunettes, le public à prendre en considération disposerait d’un niveau d’attention moyen (TPICE, 15 janvier 2008, aff. T-9/05, Hoya c/ OHMI et Indo (Amplitude)).
Le niveau d’attention du consommateur est déterminant puisque qu’il constitue l’élément de référence sur lequel le tribunal sera amené à reconnaître ou invalider un risque de confusion.
Cependant, il peut paraître assez artificiel de qualifier ainsi artificiellement l’attention d’un consommateur. Pour les mêmes produits de lunetterie, par exemple, son attention peut varier en fonction des circonstances de la vente. S’agit-il d’un achat motivé par le seul mieux-être ? S’agit-il d’un achat à fin thérapeutique ? S’agit-il de l’achat d’un accessoire de mode ?
Ainsi, selon les circonstances, le même produit peut motiver une attention particulière du consommateur, ou constituer effectivement un bien de consommation courante.
Lorsqu’il s’agit de biens de consommation courante, c’est-à-dire susceptibles d’être trouvé sans difficulté dans le commerce, ou confrontés à des produits facilement substituables les uns aux autres, le niveau de l’attention du consommateur est donc susceptible de varier. Sur ce point, la décision du TPICE ne fait que confirmer les décisions antérieures.
II. Pas de chichi, SHE tolère S-HE
La motivation relative à la comparaison des signes appelle quelques critiques.
Dans la décision du 23 septembre 2009, le tribunal rappelle, au point 42, que les marques doivent être considérées dans leur ensemble. En outre, depuis une jurisprudence constante de 2003, la Cour de Justice des Communautés Européennes a dit pour droit que le consommateur d’attention moyenne portait davantage son attention sur le début d’une marque que sur la fin.
Néanmoins, cette attention particulière au début d’un terme ne constitue qu’une grille de lecture (parmi d’autres) du risque de confusion. En outre, elle amène la juridiction à ne plus procéder à une appréciation globale des signes en cause.
A. Sur le plan visuel
Sur le plan visuel, le tribunal retient que le tiret, en tant que signe de ponctuation, serait susceptible d’entraîner « une différence visuelle notable » lors de la comparaison des marques en cause.
Selon le tribunal, l’impression visuelle de la marque demandée résulte de la séparation de la première lettre de ladite marque des deux autres lettres de cette marque.
Cependant, le tribunal ne relève pas que les marques déposées sont destinées à être exploitées (généralement sous une forme graphique, et non pas verbales, surtout en ce qui concerne les produits de mode visés par les enregistrements en cause). Certes, les décisions d’opposition apprécie les signes tels qu’ils sont déposés, donc indépendamment des formes sous lesquels elles seraient exploitées. Cependant, il arrive que le titulaire d’un enregistrement décline une même marque selon plusieurs variables de présentation : S-HE pourrait être la déclinaison élégante de SHE. L’exploitation d’une marque pourrait être une circonstance à prendre en compte pour évoquer un risque d’association.
B. Sur le plan phonétique
Selon le tribunal, la séparation générée par le tiret, dans un mot de seulement trois lettres, entraîne également des différences phonétiques entre les marques en cause.
Le trait d’union interromprait non seulement le flux de la lecture de la marque S-HE, mais également sa prononciation. Cette séparation implique un sens qui influence la façon de verbaliser la marque contestée. Elle amène le consommateur a énoncer la première lettre S séparément des lettres -HE.
D’une part, il serait prématuré d’établir des assertions consacrant l’importance accordée aux différents signes de ponctuation, dont la vue d’ensemble des marques complexes ou l’éventuel caractère distinctif de ces signes de ponctuation. En l’espèce, la césure reste l’élément déterminant de la décision.
D’autre part, l’importance phonétique accordée à la césure semble critiquable. En effet, un consommateur d’attention moyenne ne sub-vocalise pas systématiquement les marques qu’il perçoit. Il peut très bien percevoir le signe sans le prononcer, même mentalement. Tel est notamment le cas de toutes les marques figuratives, lesquelles ne contiennent qu’un dessin, un logo ou un élément visuel. Par exemple, le célèbre losange de la société Renault permet d’identifier les automobiles de cette marque. Pour autant, sa simple perception ne génère pas une vocalisation dans l’esprit d’un consommateur.
C. Sur le plan intellectuel
Sur le plan intellectuel, le tribunal relève que les marques SHE sont comprises comme une référence au pronom féminin, alors que la demande d’enregistrement S-HE serait une référence à la fois au pronom féminin et au pronom masculin. La chambre de recours en a conclu un effet sémantique différent : la marque demandée signalerait au public que les produits seraient destinés à des femmes et / ou à des hommes, et non à des femmes uniquement, comme dans le cas de produits désignés par la marque antérieure.
Une telle différence est difficilement perceptible, et soulève beaucoup d’interrogations. En effet, le tribunal ne relève pas les effets similaires induits par chacun des signes. La marque contestée contient le même référentiel que celle de l’opposant (« elle », comme pronom féminin, de langue anglaise). Les deux marques en cause se recoupent sur un plan sémantique. La marque contestée produit sur la clientèle masculine ou féminine le même effet que la marque de l’opposant, à savoir une référence au même pronom féminin anglais.
Enfin, limiter la portée d’un enregistrement antérieur au genre visé par le signe aboutit à restreindre de manière importante les droits attachés au dépôt de marque. Le titulaire de la marque antérieure SHE commercialise-t-il ses produits de mode exclusivement auprès du public féminin ? Rien n’est moins sûr ! Si tel était le cas, les produits couverts par l’enregistrement antérieur contiendraient la mention de leur destination spécifique (par exemple : vêtements pour femmes, au lieu de vêtements; lunettes pour femmes au lieu de lunettes). À défaut de désigner spécifiquement le genre de sa clientèle, la parité devrait se présumer.
Et même si les produits visés sont à usage exclusif des femmes, celles-ci n’en sont pas toujours les uniques acheteuses… Il arrive en effet qu’un époux bien intentionné désire faire un cadeau à son épouse; il aura à cœur d’acquérir les produits de ses marques préférées… Dans certains cas, ils seront mêmes missionnés pour cela : nos chères compagnes pouvant simplement prononcer la marque de vêtements, de cosmétiques, ou d’accessoires de modes qui retient leur préférence. Même bien intentionnés, les maris restent peu rompus à ces différences subtiles de marques. Après la seule évocation phonétique de la marque [Chi], ils pourraient vraisemblablement acquérir les produits couverts par la marque S-HE en croyant, par erreur, acquérir ceux du titulaire de la marque antérieure SHE.
En conclusion, la décision du Tribunal de Première instance des Communautés Européennes présente certaines failles. Même si elle s’inscrit dans une jurisprudence antérieure sur les signes « courts », peu favorable au risque de confusion, elle emporte de graves conséquences, compte tenu de l’identité des séquences concernées. Il suffirait aux contrefacteurs de modifier légèrement les marques courtes, par l’ajout d’un signe de ponctuation, pour obtenir un enregistrement et forcer un fabricant à tolérer leurs produits identiques, tout en bénéficiant des investissements publicitaires. de celui-ci Le droit des marques peut-il se satisfaire d’un tel risque ?